Risques de la photo de rue

Il y a quelques semaines, profitant d’un séjour à Paris, je jouais les touristes déambulant dans les rues, appareil photo en main. Boulevard du Temple, une partie du large trottoir était encombrée par un déballage digne d’un vide-grenier. Je compris aussitôt qu’il s’agissait d’art moderne, une de ces installations dont raffolent les plasticiens. L’artiste avait disposé une série d’objets hétéroclites sur le macadam : une poussette de marché renversée, quelques vêtements éparpillés, deux sacs à dos de routards, une bouteille de vin blanc non entamée mais couchée, une couverture grise à bandes rouges. Il avait également peint à même le sol quelques taches à l’aide de peinture rouge-brun. Probablement pour éviter le piétinement de l’œuvre, la zone de quelques mètres carrés était entourée d’un ruban de plastique strié de rouge et blanc sur lequel se répétait à espace régulier l’inscription “POLICE NATIONALE”.
J’avais à peine relâché le déclencheur après avoir pris un premier cliché qu’un beuglement “WOOOOOO…..” poussé dans mon dos me fit presque sursauter. Braillement aussitôt suivi d’une supplique tonitruante : “Monsieur, veuillez aller voir plus loin, s’il vous plaît !”. L’auteur de ce vacarme était un individu que je n’avais pas remarqué auparavant, posté à quelques pas de la scène. Entièrement vêtu de bleu foncé, coiffé d’une casquette de la même couleur, il avait la ceinture ornée de divers accessoires et arborait un air féroce.
Outré de cette prise à partie, je lui fis vivement part de mon étonnement quant à sa manière de s’adresser aux passants. Je m’apprêtai à lui demander de plus amples explications sur son comportement agressif, quand la petite voix de la sagesse (ou peut-être de la lâcheté, car l’individu était grand et avait vraiment l’air très méchant) me conseilla de continuer mon chemin sans plus tenir compte de l’importun.
Reprenant donc ma promenade un moment interrompue, je me perdais en conjectures sur les raisons de ce courroux aussi violent qu’inattendu. J’avais juste photographié une scène insolite, je n’avais apporté aucun dérangement à l’œuvre exposée, émis aucune critique à son propos.
Quelques jours plus tard j’étais de retour dans ma province avec mes interrogations. Et finalement, la lumière a jailli, bien longtemps après les évènements. L’individu hurleur était l’artiste en personne. Il craignait certainement de voir ses droits d’auteur bafoués par une large diffusion de l’image de son chef d’œuvre sur les réseaux sociaux et voulait protéger le produit de sa créativité.
Leçon à tirer de cette mésaventure : si vous souhaitez photographier une œuvre d’art, assurez-vous d’abord que son auteur n’est pas dans les parages, ou demandez lui l’autorisation au préalable.

Louis DUPRE